Un tour d’horizon des paysages et des métiers,
sous la houlette de Jean-Pierre Jourdan.
(expert en oléiculture et majoral de la Confrérie des Chevaliers de l’Olivier.)
Si la truffe (Tuber melanosporum) pointe le nez à l’approche de Noël, elle ne donne guère d’assurance de maturité ou de saveur optimale. Dans les Baronnies provençales, l’autre joyau du terroir, l’Olive Noire de Nyons (la Tanche) se doit d’être fin prête pour les fêtes, ferme et ridée, sauvée de son amertume naturelle par la grâce des picots et du sel… Prenons la piste de la perle noire et de ses promesses en fruits et en huile, histoire de nous rassurer sur une « saison » oléicole qui n’a démarrée qu’à la toute fin de novembre.
La route des savoir-faire et la tradition gourmande
« Après avoir jeté un œil inquiet sur des « bas fonds » des bords de l’Eygues – là où l’olivier a su reculer, de lui-même, vers des adrets moins glacés – nous prenons la route du Col d’Ey. Pas de surprise, à 8 heures et demi, le thermomètre marque moins trois degrés dans un décor légèrement saupoudré de givre.
Jean-Pierre Jourdan est un guide indispensable pour ce périple au cœur du terroir qui va de Buis-les-Baronnies à Nyons via la vallée de l’Ouvèze. Ces jours-ci, à perdre haleine, notre expert parcourt l’aire d’appellation d’origine de l’Olive noire de Nyons (et ses 53 communes) avec une attention redoublée. En 2014, la Confrérie des Chevaliers de l’Olivier, l’Institut du Monde de l’Olivier et le Syndicat de l’Olive Noire de Nyons comptent bien attirer l’attention des médias et du public sur une année mémorable à plus d’un titre : Les 50 ans d’existence de la Confrérie, les 30 ans de la tradition de l’Alicoque et les 20 ans de l’Appellation d’Origine Contrôlée (devenue AOP). Rien ne doit donc échapper à la revue de détails à quelques jours de la treizième « Fête de l’Olive Piquée », le signal de départ en quelque sorte.
Sur les hauts de Buis, Jean-Pierre attire notre attention sur la ramure d’un olivier bien chargé : « Tout ça ferait déjà une magnifique olive de conserve. Mais l’oléiculteur prend le risque d’attendre pour avoir le maximum d’olives charnues et fripées et mériter l’appellation… » Nous poursuivons notre route et le tableau est quasiment invariant : En général, le même arbre porte des fruits de maturités fort différentes.
Un petit coup de peigne ?
Dans le quartier des Cluses, à Buis-les-Baronnies, Régis Vialle s’active, jonglant avec échelles et filets sur ses banquettes escarpées : « Cette année on peut avoir une récolte, on va dire, importante. Alors je me suis dit, je ne sais pas le temps qu’il fera dans 15 jours, un mois… Je vais « ramasser », tant pis si elles sont peu moins mûres ; ce n’est pas grave pour faire de l’huile ! Pour récolter j’y passe un gros mois dans mes banquettes. Comme vous voyez les olives ne sont pas grosses mais elles sont toutes bonnes. » Quel plaisir de voir ce jeune homme de 80 ans évoluer comme un cabri sur ses bancaus…
Le blues du confiseur.
Dans le village de Buis, les abords du Moulin Fayant ne sont guère encombrés par le charroi des producteurs apportants. Claude Ricard (confiseur d’olives à Plaisians) est venu, lui aussi, s’enquérir de l’activité au moulin. Il peste tout en gardant le sourire : « Les olives piquées il faut les sortir avant Noël et avant la Noël on n’en aura pas. Eh, c’est la fin… C’est la fin de l’olive piquée, voilà ! Moi j’ai des commandes ; des clients qui me demandent de l’olive piquée. Et l’olive piquée, là, on ne peut pas en faire… » Claude est persuadé que jusqu’à Noël, personne ne pourra « ramasser » ici. Comme s’il voulait nous rassurer tout de même, il conclue : « Enfin on verra. La saison n’est pas catastrophique mais c’est pas bon. »
(photo : Claude Ricard, confiseur d’olives à Plaisians…)
Le moulinier n’est pas débordé.
La trituration des olives alimente un ronflement entêtant, bien que le moulin de Haute-Provence à Buis ne soit pas submergé, c’est le moins que l’on puisse dire. Michel Fayant, le moulinier, pilote benoîtement son transpalette: « C’est juste le début. Pour l’instant on travaille beaucoup d’olives Verdale du Nord Vaucluse. Et même sur la Verdale, on n’est pas en avance non plus. Pour la Tanche c’est bonne heure encore. On en a fait quelques lots. Tout le monde est un peu dans l’expectative, dans l’attente que ça mûrisse. Au moulin ça a démarré quinze jours en retard. Et il y a quelques endroits, dans les bas-fonds, où il a gelé. Pour l’instant on attend. » L’huile coule cependant, éclairant la cuve inox de son vert soutenu, quasi fluorescent. Devant la porte de service du moulin, les grignons fument et se mettent en tas avec l’envie illusoire de dépasser le Saint-Julien.
Les vieux arbres vibrent aussi.
À Mirabel-aux-Baronnies, dans le superbe verger des très vieux oliviers de Jérôme Ressegaire, les filets sont partout et partout c’est le même constat : « Cette année, c’est la maturité qui n’est pas au rendez-vous. » Ici, un secoueur de troncs nous tend son énorme pince. Sa silhouette de dinosaure décharné et télécommandé amuse sûrement le jeune fils de l’oléiculteur qui gambade non loin de là. Jérôme a fait le choix de mettre à l’huile la totalité de sa récolte : « On est tout en AOP et tous nos oliviers sont sur Mirabel. Le secoueur fait tomber la plus grosse partie et le peigne vibrant passe après, pour fignoler les olives qui restent. » Les deux mains posées sur le boitier de télécommande, Jérôme fait aisément passer le secoueur d’un arbre à l’autre. Deux ouvriers saisonniers lui emboîtent le pas avec leur peigne vibrant pour finir la cueillette.
Il nous manque le facteur couleur…
Pour une simple question de gain de temps, Rémi Rialhe, à Mirabel, a opté pour une cueillette mécanique associant vibreur thermique pour les branches charpentières et peigne vibrant pour les rameaux : « Pour l’olivier, le vibreur thermique, franchement, ça ne fait pas de mal. On fait tomber un peu de feuilles, quelques rameaux, mais l’olivier s’en remets très facilement.»
(photo : Un employé de Rémi Rialhe utilise le vibreur thermique)
L’obsession de Rémi, cette saison, c’est la couleur : « Il n’y a que ce critère-là qui nous manque pour avoir des olives de table. C’est pour ça qu’on a travaillé à l’envers cette année. C’est à dire que les vergers taillés étaient tellement abîmés qu’ils sont partis à l’huile en premier, alors que d’habitude on les prend en dernier. On espère quand même trouver quelques grosses qui iront à la table, sur le volume taillé. » Rémi Rialhe est persuadé que pour l’AOP et pour l’olive de bouche, mieux vaut n’utiliser que le secoueur thermique qui ne touche pas le fruit et le fait tomber directement.
Les olives piquées sont déjà prêtes à la ferme Brès.
(photo : Régine Brès-Kanéko actionne l’irremplaçable machine à piquer les olives)
À peine installés en conversation, à Nyons, Régine Brès-Kanéko nous fait goûter ses premières olives fraîchement piquées. Elles sont somptueuses d’onctuosité, de fraîcheur et de finesse ! L’oléicultrice nous confie : « C’est vraiment tardif cette année 2013. J’ai appelé les cueilleurs et pour la grosse équipe, on ne va commencer que le 23 décembre. Bien sûr, on a travaillé un peu entre nous, à 5 ou 6 personnes, pour faire les arbres les moins chargés. » La ferme Brès est certainement un des derniers bastions de résistance au « tout mécanique ». Une chose est sûre, le système traditionnel qui règne ici induit un système de production spécifique, comme nous le précise Régine Brès-Kaneko : « Jean-Pierre Jourdan a raison de parler de système de production particulier. Pour la cueillette à la main, la taille de l’arbre est primordiale. Une taille pour permettre la cueillette manuelle ne va pas être la même qu’une taille pour vibreur. » La production à double fin (olives de table et huile) prend ici tout son sens quand on applique les dispositions chères à Régine : » On a cette chance de pouvoir calibrer et de garder les beaux fruits préparés pour la table et de faire une huile très bonne avec des fruits de bonne qualité mais un peu plus verts… » Les fêtes approchent et celle de « l’Olive Piquée », ce 21 décembre, ajoutera du panache à une tradition aussi belle que savoureuse. À l’heure où nous bavardons, Henri, le patriarche, est sûrement en train de tourner la manivelle.
Des oléiculteurs nous disent : « Alors, qu’est-ce qu’on fait ? »
(photo : Jacques Dozol, moulinier à Nyons)
On voit bien que Jacques Dozol partage tranquillement les commandes du moulin avec son fils Franck. Pendant que ce dernier court de la réception au stockage, le père accepte gentiment de nous improviser une dégustation de son huile primeur : « C’est un goût d’amande qui domine – comme souvent dans la Tanche – mais une amande fraîche… C’est très net et très agréable. L’huile est longue en bouche, elle enrobe très bien… Il y a juste ce qu’il faut d’ardence. Pas du tout d’amertume. Elle a vraiment toutes les qualités requises pour faire une huile exceptionnelle. » Le moulinier nyonsais est frappé, comme ses visiteurs, par la multitude de couleurs et de nuances des olives que l’on pose à sa porte : « Il y a des variantes incroyables. C’est pour ça qu’on ne sait pas comment orienter les oléiculteurs sur la cueillette. Ils nous disent : « Alors qu’est-ce qu’on fait ? » Les conditions climatiques sont idéales en ce moment : il fait un froid raisonnable. Mais qui pourrait deviner l’évolution du produit d’ici 15 jours, 3 semaines ? Alors en tant que moulinier on hésite à dire aux gens vous allez faire ci et ça… » Jacques et Franck et Josy (que l’on n’aurait garde d’oublier, fidèle au poste, au bureau) ont pris une quinzaine de jours de retard, comme leurs collègues des Baronnies. Ils conviennent également que l’olive de table fera sûrement défaut cette année.
Elles vont finir par mûrir, les olives, quand même…
(photo : Nicolas Lepesteur ne se départit pas de son calme habituel…)
À la réception du moulin de la Coopérative du Nyonsais, Nicolas Lepesteur n’est guère bousculé par les arrivages. Il peut prendre le temps de nous accueillir : « On a pris un gros retard de maturité au printemps et on l’a toujours. On a des olives pour l’huile ; les vertes côtoient les bien noires et les bien ridées. Mais elles ne sont pas encore prêtes pour la table. Le froid a joué sur le ralentissement de la maturation et dans beaucoup d’endroits les arbres sont même restés verts encore. On se croirait un mois ou deux en arrière. » Mais il n’y pas de quoi s’inquiéter, l’huile ne va pas changer pour autant : « On aura peut être un peu plus d’ardence, un peu moins de fruité pour l’huile du Nyonsais, mais bon, ça va s’avancer… Elles vont finir par mûrir les olives, quand même ! » Pour Nicolas il serait bon que le froid se maintienne en l’état, pas plus. Eu égard aux prévisions météorologiques il pronostique peu d’apports avant Noël, voire en janvier pour les olives de table.
Noir c’est noir ! Une couleur d’espoir en marketing.
(photo : Noël Auvitu présente…)
À la coopérative du Nyonsais, Noël Auvitu est responsable des achats et du marketing. C’est à ce titre qu’il est concerné par les opérations de communication spécifiques à l’année 2014, « Année mémorable de l’Olive de Nyons » mais aussi 20è anniversaire de l’Appellation d’Origine Contrôlée de l’Olive de Nyons (devenue AOP). « Le syndicat a voulu mettre en évidence ces 20 ans. Deux emballages ont donc été créés. Un conditionnement spécifique (sérigraphie sur bocal) pour l’Olive noire et un autre (bidon cylindrique noir)pour l’Huile d’olive de Nyons. » Comme le précise Noël Auvitu, la coopérative a travaillé en coordination avec le syndicat. Présents lors des réunions préparatoires, les principaux metteurs en marché peuvent accéder à ces emballages exceptionnels en passant commande directement auprès des fournisseurs. Ces nouveaux conditionnements ont déjà fait des apparitions sur les lieux de vente.
Le rêve du président n’est pas une illusion d’optique.
(photo : Serge Roux président de la Coopérative…)
Aux yeux du président de la Coopérative du Nyonsais, Serge Roux, les habitudes des oléiculteurs sont évidemment respectables. Il remarque cependant que dès que le moulin est ouvert certains producteurs décident de récolter sans retard… D’autres prendront le risque d’attendre un signal de la part de Nicolas Lepesteur pour récolter des olives plus matures, destinées à la conserve. C’est en quelque sorte, et en premier lieu, une aide à la décision que leur propose leur président, via un équipement de contrôle optique dès la réception : « Quand le programmeur aura introduit les critères pour reconnaître l’Olive noire de Nyons, par exemple, pour la conserve, le contrôleur optique pourra alors analyser et sélectionner les olives. Il laissera passer la lisse, la verte, la noire, la molle (il se ravise et sourit) la molle ce sera un peu plus compliqué… Dans l’immédiat, dès que la machine sera réglée, Nicolas aura à déterminer la bonne fermeté de l’olive pour la conserve et on espère que la machine fera le reste.» Des ingénieurs travaillent actuellement, à Nyons, sur le chantier du rêve du président : « Demain, si ça fonctionne – j’ai beaucoup d’espoir dans l’informatique et la technique – demain, l’oléiculteur nous apportera ses olives ; c’est lui qui décidera de la période de récolte et la machine triera ce qui peut aller à la conserve ; le reste ira au moulin… » Et Serge Roux de conclure : « On me connaît aussi par mon côté preneur de risques. J’aime bien… Je ne vois pas pourquoi ça marcherait avec le petit pois ou la groseille et pas avec l’Olive de Nyons. »
Texte et photos : Didier Rousselle
Majoral de la Confrérie des Chevaliers de l’Olivier
& Correspondant de presse
(Reportage paru en décembre 2013 dans La Tribune n°51)